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S'ouvrir à la lecture

5 février 2009

Le monopole d'un article.

IMG_2138     Elle ouvre le journal comme elle s'ouvre sur le monde. La lenteur des mots l'irrite et sa pensée va trop vite. En se redressant sur son siège, elle se rend compte que quelque chose la gêne. Ce n'est pas le vide derrière elle, mais le vide en elle ; sa main qui froisse le papier n'est pas la sienne et ce quelque chose lui échappe, l'idée qu'elle devra tourner la page à un moment ou à un autre, dans quelques heures ou plusieurs minutes, qu'elle devra revenir à la vie normale, la vie d'une personne unique qui refuse de vieillir. Unique comme ces milliers d'autres qui glapissent en regardant leur télévision, qui étalent leur vie sur la Toile, et qui lisent le journal. Ce qui les retient tous, c'est l'amour-propre, l'orgueil, et tout cela la dégoute. Parce qu'elle se sait humaine et, par conséquent, aussi vulnérable et imparfaite qu'eux. Elle voudrait leur montrer qu'ils ont tort d'essayer de retenir leur dernier souffle pour vivre plus longtemps. Ces gens-là vivent en apnée. Leur insatisfaction leur procure du bien ; la recherche de puissance est leur éternelle jouissance ; et puis, vient l'orgasme, lorsque la réalité trop frappante a laissé place à un monde virtuel et artificiel.
      Les nouvelles sont mauvaises, aujourd'hui, le monde lui échappera toujours trop. Dieu est un virtuose quand il s'agit de façonner l'Homme.

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4 février 2009

Lecon 22 : Il est parfaitement sain de produire un bruit corporel, tant que cela n'affecte ni ne dérange personne.

[...]
Pourtant, personne n'a la moindre idée de ce qui bouillonne en vous, une vie secrète. Le désir de bouleverser votre monde vous tarabuste comme quelqu'un qui tire à petits coups sur le bas de votre jupe. De temps en temps seulement, cela ne dure pas. Cela s'évanouit quand on propose de vous faire couler un bain, ou une tasse de thé, ou quand la vaisselle a été faite.

La Mariée mise à nu, Nikki Gemmell.

3 février 2009

Au bonheur de lire

Peu d'objets éveillent,
comme le livre,
le sentiment d'absolue propriété

livre_ouvert_1_1Daniel Pennac.

3 février 2009

Une mise en scène de la dérision

Guido et Giosué sont dans un camp de concentration

GIOSUE - Ils vont faire de nous des boutons, du savon ...

GUIDO - Giosué, que dis-tu ?

GIOSUE -  Ils vont tous nous brûler dans le four.

GUIDO - Mais qui te l'a dit ?

GIOSUE - Un homme s'est mis à pleurer et il a dit qu'avec nous ils vont faire des boutons et du savon.

Guido éclate de rire
.

GUIDO - Giosué ! Tu t'es laissé abuser une fois de plus. Et pourtant, je croyais que tu étais un petit garçon vif et malin ! Avec nous ... avec les gens ..., ils vont faire des boutons, c'est cela ..., avec les Russes des ceintures et avec les Polonais des bretelles ! Il sourit. Des boutons et du savon ... Hein, demain matin, je me lave les mains avec Bartolomeo, je me boutonne avec Francesco et je me peigne avec Claudio ...

Il rit et, sur ces entrefaites, il arrache un bouton de la veste et le laisse tomber à terre.

GUIDO - Oh, Giorgio m'est tombé des mains !

Il ramasse le bouton et le met dans sa poche.

GUIDO - Ils font des boutons avec les gens ! Et puis quoi encore ?

GIOSUE - Ils nous brûlent dans un four !

Guido le fixe en riant.

GUIDO, il rit. - Ils nous brûlent dans un four ? J'avais entendu parler du four à bois, mais du four à hommes, jamais, ça alors, jamais ! Oh, il n'y a plus de bois, passe-moi un avocat ! Oh, cet avocat ne brûle pas, il est vraiment vert, hein ! Crois-moi ... Giosué, laisse tout cela, allez ... Un beau jour, on va finir par te dire qu'avec nous, ils feront des abat-jour, des presse-papiers ... et toi, tu prends ça au sérieux. Parlons de choses serieuses. Demain matin, j'ai une course de sacs avec les méchants méchants ... Toi ...

GIOSUE, il l'interrompt. - Non, ça suffit comme ça, papa, je veux rentrer à la maison.

La_Vie_Est_BelleR. Benigni et V. Cerami, La Vie est belle.

3 février 2009

Au bois des Anges

Dans sa chambre, il y aura un bouquet de marguerites que j'aurai cueillies moi-même en prenant soin de les couper au ras des racines afin qu'elles gardent leur éclat pendant toute une semaine. Je l'emmènerai promener au bois des Anges. Avec mon canif, je lui taillerai des arcs et des flèches pour qu'elle se prenne pour une Indienne. Nous irons au village acheter des jouets au bazar, et des bonbons chez Mme Premet qui lui dira qu'elle est encore plus belle, plus resplendissante que l'an dernier. En revenant, je lui prêterai ma canne et elle me fera rire en imitant ma claudication.
-Le soir, je lui couperai sa viande comme lorsqu'elle était encore un bébé.
normal_Lozere_Cevennes_Arbres_Foret_3Quand elle prendra son bain, je ferai flotter sur l'eau des petits bateaux et des canards pour entendre son rire plus merveilleux encore que le plus beau des concertos de Mozart. Je lui raconterai une longue histoire quand elle sera au lit, et je m'allongerai à côté d'elle en attendant qu'elle s'endorme. Je quitterai sa chambre à reculons pour jouir encore de son visage dans la pénombre.
Vers trois heures du matin, quand ma femme sera profondément endormie, je me relèverai sans bruit. Et dans la touffeur d'une nuit où le massif des Maures brûle comme un feu de brindilles, je prendrai sa petite main et je finirai par jouir sur le drap.



Régis Jauffret, Microfctions.

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